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Nicole Garcia - Entretien avec la réalisatrice

2021-11-01    
   
Le film « Amants »

Quelle a été la genèse de cette histoire?

Pour la première fois, l’idée ne vient pas de moi. Jacques Fieschi, le scénariste avec qui je travaille depuis toujours, m’a proposé cette histoire, qu’il avait largement élaborée. Il avait eu le projet d’en faire un roman. Je l’ai perçu comme une chance, ça m’ouvrait une voie nouvelle. On pouvait accrocher ce récit au film noir, au thriller. C’est un genre qui m’attire depuis longtemps. Pour ses ambiances, sa caractérisation des personnages, peut-être un autre rapport affectif avec eux à découvrir. Mes films sont souvent construits sur la présence d’un passé où rôdent des menaces, une peur que le film peut magnifier. Peut-être une façon de s’en débarrasser pour soi-même...

Diriez-vous que le film est une tragédie?

Le premier plan du film, c’est la découverte du couple de Lisa et Simon. Leurs corps nus se détachent peu à peu d’un drap noir qui les épouse ou les dévore. Il y a du tragique chez les personnages, surtout chez Simon. Le personnage de Nathalie, par exemple, qui ressurgit dans la vie de Lisa au troisième acte. Celle-ci vit dans une bulle à Genève avec Léo, celle des gens privilégiés qui naviguent entre la Suisse, New York, Dubaï et Paris. Le retour de Nathalie la désigne comme une figure du destin autant qu’il porte un regard sur ces sociétés d’argent aujourd’hui. J’ai déjà filmé l’argent, le luxe et les abîmes qu’ils recouvrent. Pour parler des sentiments et les mettre à l’épreuve, nous avons souvent placé nos personnages face à l’argent, pour en débusquer l’intimité.

Parlez-nous de votre héroïne, Lisa. Qui est-elle?

Des trois personnages principaux, c’est sûrement la plus ambivalente. On découvre Lisa dans une grande dépendance vis-à-vis de Simon car il est son passé et, croit-elle, son avenir. Quand Simon l’abandonne, elle sombre. Sa déception est abyssale. Elle glisse dans un état de prostration et de désespérance. C’est alors qu’arrive Léo, le deuxième homme. Il peut la réparer par la force de son amour, la tranquilliser par la puissance de l’argent. Comme Simon, Lisa vient d’un milieu modeste de banlieue, et soudain, elle enjambe l’abîme qui sépare ces deux mondes. De l’école hôtelière aux hôtels de luxe, sa métamorphose paraît réussie. Elle peut avoir adoré un premier homme et se laisser adorer par un deuxième.

Jusqu’au jour où Simon réapparaît. Va-t-elle revivre cet amour fou, intact en elle, "peser " le confort du luxe et de l’argent? Peut- elle revenir en arrière, ou veut-elle tout posséder, comme le choc des contraires, si loin du détachement qu’on lui prêtait au début du film? Est-elle la proie de ces deux hommes ou cherche-t-elle confusément à s’éloigner de leur emprise? Les personnages féminins de mes films sont souvent maltraités, humiliés par les hommes, bousculés par les fictions qu’ils projettent sur elles. Elles sont dos au mur. En se perdant, elles se cherchent. Peut-être, à la fin, Lisa s’est-elle trouvée, seule.

En dépit de son élan romanesque, la volupté des décors et de l’image, le film est ancré dans le dur contexte social du monde d’aujourd’hui.

Dur, et même âpre, oui. Le film commence dans la vie urbaine et nocturne des jeunes gens d’aujourd’hui où l’argent circule vite et froidement. Puis d’autres mondes se dévoilent, d’autres pesanteurs sociales. D’autres barrières qui deviendront humiliantes quand l’un des deux amants aura tourné le dos au camp qui est le sien. Autant dans les rapports sociaux, qui deviennent de plus en plus tranchés et cadenassés, que dans les plus intimes, on est tous blessés par cette âpreté du monde où l’on ne joue plus sans s’abîmer. C’est, je crois, ce que le film veut dire sur notre présent.