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Bien-être

Sport & spiritualité - L'esprit de jeu, une aptitude fondamentale de l'Être ?

2023-02-14    
   

Chaque coupe du monde de football apporte son lot de questionnements et de réflexions, économiques, écologiques ou plus généralement éthiques : quel sens a tout cela ? Quel sens donner à cette frénésie, cette vague d’enthousiasme qui s’empare des foules, rappelant la mémoire de certains événements d’hystérie collective, comme ceux rapportés par l’écrivain suisse Denis de Rougemont aux heures sombres de l’histoire allemande ? ¹

En 1976 déjà, Gustave Thibon écrivait : « Le sport est une religion qui a trop de croyants et pas assez de pratiquants, » dénonçant le « culte » des sportifs installé dans notre société, ces « messes » footballistiques qui rassemblent des peuples ou encore la valeur de « miracle » que l’on accorde au fitness sur la santé. Il concluait : « Remettons-le à sa place, c'est-à-dire donnons-lui un peu moins d’importance dans notre imagination et un peu plus de réalité dans notre vie quotidienne. » invitant à pratiquer davantage le sport soi-même qu’à y croire comme à une divinité toute-puissante. ²

Pourtant, sous une forme ou une autre, le sport est présent dans nos vies depuis l’Antiquité, et toujours associé à la compétition. On sait qu’il était pratiqué déjà au troisième millénaire avant Jésus Christ, en Mésopotamie et en Egypte, bien avant les célèbres jeux Olympiques qui, durant près de mille ans, attirèrent tous les quatre ans jusqu’à cinquante mille spectateurs. Les vainqueurs recevaient, certes, une couronne d’olivier bien symbolique, mais leur gloire immense rejaillissait sur leur cité. Chez les Romains, à côté des célèbres gladiateurs, c’étaient les courses de chars qui passionnaient le public, et autour desquelles gravitait tout un marché économique, des vétérinaires et entraîneurs aux parieurs.

Déjà alors, des voix se faisaient entendre pour questionner ces passions des foules. L’écrivain Pline le Jeune écrivait déjà au premier siècle : « Je m'étonne d'autant plus que tant de milliers de spectateurs raffolent, encore et encore, de façon si puérile, de voir et revoir des chevaux au galop et des cochers dressés sur leurs chars. Si au moins c'était la vitesse des chevaux ou la virtuosité des cochers qui les attirait, il y aurait une raison ! Mais non : c'est la couleur d’une casaque qu'ils soutiennent, c'est une casaque qu’ils aiment... Si en pleine course on intervertissait les couleurs, leur engouement changerait de camp : tout à coup ils laisseraient tomber ces fameux auriges, ces illustres chevaux qu'à tout moment ils reconnaissent à distance, et dont ils hurlent les noms. Quand je songe que ces gens s'abaissent à un amusement si futile, si niais, si répétitif, sans jamais en être rassasiés, j'éprouve un certain plaisir à ne pas y trouver de plaisir. » ³

De nos jours, les compétitions sportives, amplement médiatisées, en particulier depuis l’invention du téléviseur, prennent des proportions mondiales. En même temps, l’esprit de compétition s’insinue partout, des likes sur Facebook au monde du travail, justifié parfois par une compréhension limitée des écrits de Darwin, réduits à la loi du plus fort. ⁴

Si l’on en revient au sport lui-même, on lui prête aujourd’hui toutes les vertus : il aide au développement mental (le fameux adage mens sana in corpore sano), il est synonyme d’ascenseur social, il contribue à l’apprentissage, il développe un sens de la coopération, de l’entraide, et éloigne divers maux de notre civilisation, en maintenant une bonne santé.

Mais, au-delà de tous ces aspects, n’est-ce pas simplement l’esprit de jeu qui nous attire dans le sport ? Et les spectateurs s’émeuvent dès que cet aspect ressort dans un match. Perdre aux tirs au but contre l’Argentine, ce n’est pas grave, lorsqu’on a réussi à se motiver et jouer pour remonter 2 à 2. Dans son Abécédaire de l’ambiguïté, Albert Jacquard nous rappelle que l’origine du mot « sport » est le vieux français « desport » qui signifiait « amusement ». « Oui, écrit-il, il s'agit de m’amuser, de profiter de la conscience que j'ai du fonctionnement de mon corps, pour en jubiler, pour obtenir de lui plus qu'il ne voulait donner. Entrer en compétition, oui, mais avec le seul compétiteur digne de moi : moi. » et, plus loin, il évoque une anecdote : « Je ne sais quel peuple africain se passionne pour le football, mais a apporté à la règle du jeu une légère modification : lorsqu'un joueur de l'équipe A marque un but contre l'équipe B. il va aussitôt jouer dans cette équipe B. En échange d'un membre de celle-ci. L'intérêt du spectacle est ainsi prolongé. Dans l'ambiance actuelle de nos sociétés, un tel comportement semble absurde ; au mot sport nous associons spontanément le mot compétition. La sagesse serait pourtant de lui associer le mot connivence. […] Dans la nature, la compétition n'est nullement une attitude nécessaire. » ⁵

Alors, nous retrouvons notre âme d’enfant en regardant un match, quel qu’il soit, ou les prouesses d’une jeune patineuse ou d’un adolescent s’entraînant au plongeoir. Avec un sentiment parfois un peu coupable : est-il normal de ressentir ce plaisir tout simple ou un peu enfantin ou est-ce une régression ? Au contraire. Lorsque l’on regarde un match, ne se confronte-t-on pas un miroir simplifié de ce qu’est la vie – de la manière dont on devrait considérer la vie ? Et l’esprit de jeu, cette capacité de jouer n’est-elle pas une aptitude fondamentale de l’être ?

Le philosophe américain L. Ron Hubbard écrit : « La meilleure façon de comprendre la vie, c’est de la comparer à un jeu. Comme nous sommes extérieurs à un grand nombre de jeux, il est possible de les considérer d’un œil détaché. Si nous étions extérieurs à la vie, au lieu d’y être impliqués et immergés, vue du haut de cette position avantageuse, elle nous apparaîtrait beaucoup plus comme un jeu. En dépit de la somme de souffrance, de douleur, de malheur, de chagrin et de dur labeur que la vie véhicule, la raison de vivre de l’individu n’est pas autre chose que sa raison de jouer ; intérêt, lutte, activité et possession. […] La vie est un jeu. Un jeu se compose de liberté, de barrières et de buts.

C’est un fait scientifique, pas seulement une observation. La liberté existe au milieu des barrières. Une omniprésence de barrières et une liberté totale sont, toutes deux, des « conditions de non-jeu ». Elles sont aussi cruelles l’une que l’autre, aussi dépourvues de but. » ⁶ Une nouvelle façon de considérer les liens entre le sport et notre vie.

¹ Denis de Rougemont(1906-1985) fut témoin d’un rassemblement nazi à Nüremberg en l’honneur d’Hitler. Seul au milieu d’une foule hystérique, il a ressenti un fort sentiment de malaise, écrivant qu’il ressentit ses cheveux se hérisser littéralement sur sa tête et tout son être, toute sa personnalité se rebiffer. │ ² Gustave Thibon (1903-2001), écrivain et philosophe français, dans L’Équilibre et l’Harmonie, 1976. │ ³ Pline le Jeune (vers 61-115), Lettres, IX, 6, traduction de kreienbuehl.ch │ ⁴ Je pense ici à une excellente exposition en 2019 au Musée romain de Vidy, à Lausanne, intitulée « Que le meilleur gagne ! », qui tissait des liens très intéressants entre le monde du sport et la rivalité existant dans notre monde contemporain. │ ⁵ Albert Jacquard, biologiste et philosophe français (1925-2012), Abécédaire de l’ambiguïté de Z à A : des mots, des choses et des concepts, Seuil, 1989 │ ⁶ L. Ron Hubbard, Une nouvelle optique sur la vie, pages 99-100.